Daisy Georges Martin

 

 

Daisy Georges Martin, le Collège, ainsi qu'une rue d'Irigny portent ce nom.
Héroïne de la seconde guerre mondiale, militante féministe, qui était-t-elle ?

"La famille Martin est implantée à Lyon depuis de très nombreuses générations. Lignée de maîtres artisans vinaigriers, puis tonneliers du quartier des terreaux au XVIIe-XVIIIe siècle, elle compte parmi ses rangs Claude Martin, apprenti chez un fabricant d’étoffes d’or, d’argent et de soie. Parti de Lyon à l’âge de 16 ans en 1751 comme simple soldat de la Compagnie des Indes, il mène une vie aventureuse et meurt le 13 septembre 1800, avec le grade de Major Général de l’East India, à la tête d’une immense fortune. Le legs important qu’il laisse à la ville de Lyon permettra la création de l’École de la Martinière".
 

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Marguerite, Marie, Louise MARTIN naît à LYON, 12 quai de la Guillotière (aujourd’hui quai Augagneur), le 1er mars 1898, quatrième d’une fratrie de sept, la troisième fille de la famille. Le père de Marguerite, Georges Martin, avocat, entre dans la société de Maurice Piaton, son beau frère, spécialisée dans le gaz l’électricité et la construction de tramway. Il en deviendra le directeur. Sa mère, Thérèse Piaton, donne des cours d’enseignement ménager à la paroisse.  

Entrée de la propriété

 

Dans la lignée maternelle, son grand père Pierre Piaton, notaire de profession se consacre à diverses œuvres scienti- fiques ou philanthropiques. Administrateur dévoué des Hospices Civils de Lyon, il fit ouvrir des salles réservées aux malades contagieux sauvant ainsi de nombreuses vies.

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Marguerite, vit l’existence d’une jeune fille rangée, acquiert une parfaite éducation qui lui permettra d’être tou-jours respectueuse des personnes agissant avec délicatesse et une extrême politesse envers tous ; le colonel Jaboulay dira d’elle :

« elle accueillait tout avec le sourire ». Sa devise étant « avant tout aimer et essayer de comprendre chacun ».

Indépendante de caractère, très cultivée, une disposition qu’elle développera toute sa vie, passionnée de lecture, assidue à la méditation.

 

 

 

 

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Artiste peintre, elle croquera en particulier les ponts de Lyon. 

 

Frêle d’apparence, malgré une grande activité sportive, elle cache une volonté et un fort caractère, un besoin d’action, mais aucun sens pratique. Elle est fidèle dans ses amitiés et très attachée à sa foi catholique, une foi chré-tienne intense et agissante qu’elle a observée chez ses parents dont les actes sont en accord logique avec leurs intentions droites et leurs pensées pieuses selon les écrits de le curé Truchet.

Durant la première guerre mondiale, alors qu’elle a 16 ans, elle accompagne sa mère, infirmière volontaire qui soigne les blessés à l’hôpital de l’avenue Berthelot. C'est ce même lieu, qui, 25 ans plus tard, abritera les services de la Gestapo, et où elle sera détenue et torturée.
Fatiguée après cette période d’activité intense, sa mère part se reposer à Divonne-les-Bains où elle décède presque subitement dans les bras de sa fille.

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Une complicité particulière va alors s’installer entre le père et la fille. Une amie anglaise de sa mère avait pris l’habitude de l’appeler « Daisy » au lieu de « Marguerite ». Elle adoptera ce prénom auquel elle adjoindra « Georges » par affection pour son père. Pour tous, elle sera désormais « Daisy Georges Martin ».


La première guerre terminée, sa mère décédée, Daisy veut s’engager plus personnellement dans l’action.
Elle participe à l’organisation des syndicats chrétiens féminins de Lyon, conseillée par des jésuites, s’appuyant pour cela sur l’expérience du « groupement du printemps » à Paris qui fédère les jeunes couturières en usine.
Mais elle se rend vite compte de l’ampleur du problème et du peu d’impact d’une action locale.

1934

Après une peine de cœur, elle pense un temps être religieuse, mais elle comprend qu’elle ne pourra accepter sans broncher la discipline du couvent.


Elle décide de partir pour Paris, malgré le déchirement de quitter son père et Irigny, Paris où en 1925, elle entre-prend des études à l’École Normale Sociale et obtient un diplôme d’Assistante Sociale. Elle est remarquée par la fondatrice de l’UFCS – l’Union Féminine Civique et Sociale – aussi directrice de l’École Normale Sociale, Andrée Butillard, qui en 1930 va l’intégrer dans son équipe.


Fondée en juin 1925, reconnue d’utilité publique en 1947, l'UFCS est agréée comme Mouvement d’Éducation Populaire. Ses statuts précisent qu’elle a pour but d’aider les familles et leurs membres, d’apporter un soutien matériel et moral aux femmes isolées sans distinction de milieu social, de race ou de religion, ceci à travers des publications, des conseils, des collaborations avec des organismes publics ou privés.


Dans son action, l’UFCS s’efforce de promouvoir les droits et les responsabilités de « la personne humaine reconnue comme intelligente et libre par nature, possédant une dignité éminente ». Il lui est reconnu des droits : droit à la vie, aux libertés, à la culture, au travail, droit d’association. Ces principes constituent encore aujourd’hui, la base de la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme » de 1948. L'UFCS, s'efforce également de construire une société démocratique qui implique la participation de tous et plus particulièrement des femmes en prenant en compte les problèmes de la famille dans son ensemble.
L’économie y est aussi abordée dans le programme de l'UFCS comme un des éléments de la stabilité sociale.

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Daisy est au 2ème rang, la 3ème en partant de la droite, entre deux têtes.

 

Très vite Daisy Georges Martin va occuper un des postes de secrétaire adjointe. Dans un premier temps, elle est chargée de l’extension du mouvement avec la création de comités en province. Avec Fernande Lecomte, une des animatrices de la première heure, elles mettent en place des cadres départementaux pour diriger les sections locales.


Ensuite, Daisy aura ensuite la charge d’animer les sessions de formation. Ces sessions reposent sur un enseignement solide, donné au cours de conférences, de journées de formation, de sessions doctrinales. Les enseignants sont en général des catholiques sociaux (proches de l’idéal de la fondatrice et de ses principales collaboratrices), des prêtres et des religieuses qualifiés dans le domaine à traiter.
Dans les années 30, la diffusion des idées et de l’information passe par l’écrit.


L’UFCS publie un journal périodique bimensuel intitulé « Circulaire » qui devient en 1927 « la Femme dans la Vie Sociale », FVS pour les initiales. Elle publie des revues, envoie des circulaires, des polycopies, des brochures, des documents de travail et quelques livres de divulgation. Daisy y prendra part. Elle est reconnue comme une excel-lente plume, mais son nom n’apparaît que très peu sur les documents, car l’anonymat est la règle.
L’information s’ouvre aussi sur la vie des femmes dans d’autres pays prenant une dimension internationale ce qui n’est pas courant à cette époque.
Chaque action est préparée avec soin par une recherche approfondie sur le sujet.


Ainsi seront abordés :

  • le statut juridique de la femme mariée, par la loi de 1938 mais qui ne trouvera son accomplissement que dans les années 1960.
  • Le travail des mères avec la réflexion d’un comité alliant, sociologues, juristes, médecins, parlementaires, assistantes sociales ou personnalités du monde littéraires et ecclésiastiques, appuyé en 1933 par un député démocrate chrétien puis par Gaston Doumergue président du conseil. Cela aboutira quelques années plus tard, 1939, à l’allocation de la mère au foyer dont la déclaration de guerre va empêcher l’application immédiate.

En 1937, le congrès international de l’UFCS a pour thème « La mère au foyer, ouvrière de progrès humain ».
Daisy mettra ses compétences d’organisatrice et sa connaissance de l’anglais dans la préparation et la tenue de ce congrès. Trente huit nations y sont représentées, au même moment se tient à Paris l’exposition universelle où l’UFCS tient un stand. Un gros travail de documentation sur la liberté pour la femme, d’opter pour un travail rémunéré, travail de Daisy, retiendra l’attention du BIT (Bureau International du Travail).

En 1938 Daisy devient membre du bureau national de direction ; chargée du secrétariat central elle en assurera toutes les tâches urgentes. Dès lors elle voyage à travers la France pour soutenir, informer et former les comités locaux ou faire connaître l’association. Elle est aussi chargée de la commission pour la compréhension mutuelle des races et l’échange avec les conseillères municipales.


Entre toutes ses activités, elle s’échappe quelques jours pour retrouver le domaine familial et son père. Domaine où l’on peut lire au fronton du portail d’entrée : " Si tu veux que ton bien prospère et que Dieu te donne les cieux, Passant, ici lève les yeux pour prier le fils et la mère ".


Arrive 1939 et avec la débâcle, la dispersion des familles. L’UFCS organise dans ses locaux un foyer d’accueil pour le regroupement familial, travail de Daisy avec Madame Baudoin. Bientôt il faut déménager et c’est à Lyon que le bureau de l’UFCS va s’installer. D’abord repliée à Roanne au service des réfugiés où elle ne reste que quelques mois, Daisy va en 1942, regrouper dans une maison prêtée par des amis à Saint Genis Laval, les familles avec jeunes enfants pour quelques jours de vacances.


C’est à la même époque que, travaillant dans des conditions difficiles, l’UFCS poursuit son action en réclamant : l’octroi de prêts aux jeunes ménages pour leur installation, la possibilité d’une demande de divorce après 3 années de séparation de corps reconnue, l’autorité parentale reconnue à la mère comme au père ; l’UFCS s’intéresse également aux problèmes de la prostitution et de l’alcoolisme, aux conditions de logement.


Les cours de formation continuent, auxquels on ajoute des cours sur l’économie domestique, la législation sociale, le droit au travail, les méthodes pédagogiques adaptées aux enfants, des cours de couture et de cuisine, base des écoles d’enseignement ménager, rejoignant en cela le métier de sa mère.


Et aussi une formation très poussée pour les conseillères municipales.


Dès 1940 Daisy prend contact avec « l’opposition ». Elle fait partie du service social des détenus politiques et par l’entremise de Monsieur Poimboeuf du syndicat chrétien à Lyon, elle prend contact avec la Résistance. Sous le pseudonyme de « Marthe », elle entre en relation avec le mouvement « Combat ».


Henri Jaboulay, membre important dans la hiérarchie de ce mouvement raconte :

 

« Je fus un peu surpris de la suffragette qui était devant moi ; je revivrai toujours cette première vision de « Marthe », avec sur la tête une petite chose invraisemblable qui pouvait être un chapeau, un grand sac marron fourre-tout en tissu, un long manteau marron aussi dans l’ensemble, mais d’une teinte impossible à définir, une petite figure couperosée, menue, et malgré son allure de suffragette, paraissant douce et effacée. Au premier abord, je doutais qu’elle puisse assurer un service dur, difficile, plein de risque, ou la résistance physique, le cran, la volonté, l’astuce, devaient être mis en jeu constamment, où il fallait improviser sans arrêt et sans erreur, car il y avait pour soi même ou pour d’autres, le risque de mort constant. Après quelques minutes de conversation, je fus conquis… »

 

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Comme elle, 30 de ces collègues responsables de l’UFCS s’engagent dans la Résistance.
Jusqu’en 1943 rien ne transpire de ses activités. On dit même qu’elle se déplaçait au vu et au su de tous, bardée d’un grand sac rouge dans laquelle elle cachait les documents les plus confidentiels. Partant sans doute du principe que ce qui est très évident est le moins suspect.
Arrêtée le 6 mars 1944, elle est emprisonnée au Fort Montluc de Lyon. Son attention aux autres en prison, est le prolongement de l’action menée depuis près de 10 ans. Interrogée par la Gestapo, torturée, elle écrira : « Questionnée encore et encore, menacée, je suis obligée d’avouer que je connais d’autres personnes de l’organisation, mais je ne les donnerai sous aucune contrainte ».

1940

Elle est fusillée le 20 août 1944, à Saint Genis Laval, avec 120 de ses compagnons d’infortune, deux semaines avant la libération de Lyon.

 

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Mémorial de Côte Lorette, à Saint-Genis-Laval  

 

 

Bibliographie :

  • Bruno Permezel : Le Major Général Martin et sa famille, ouvrage paru le 20/10/2000 – Decitre ed.

Toutes les photos : © Bruno Permezel