L'Abbé Pierre

 

Pauvre, qu'est-ce que c'est ?

Telle est la question posée par le jeune Henri Grouès, 6 ans, à sa mère qui prépare un carton de souliers et de vêtements pour donner à ceux qui n'ont rien.

Abb Pierre

Il a 11 ans quand son père Antoine l'emmène cité Rambaud à LYON, où il voit son père et ses amis :

"ils étaient en bras de chemise au milieu d'une cinquantaine de mendiants. Ils les rasaient, leur coupaient les cheveux, chassaient la vermine, leur servaient le petit-déjeuner, et j'entends encore en moi Papa nous disant au retour : que c'est difficile de vraiment servir ceux qui souffrent tant !" 

Les origines du nom de Grouès remontent à 1725, au hameau de Fouillouse à St.Paul-sur-Ubaye dans les Alpes de Haute-Provence. Situé sur un site remarquable, à 1900m d'altitude, il est le plus élévé de France, après St.Véran (2040m). Grouès ou Grous signifie "endroit pierreux".
Comme beaucoup de "Barcelonettes", les parents d'Henri Grouès, colporteurs et éleveurs de moutons, vivaient de peu et émigrèrent au Mexique.
À leur retour, ils acquièrent un appartement à Lyon et font commerce de draps et de soieries.
Henri Grouès nait à LYON, 6 Petite rue des Gloriettes, à la Croix Rousse, le 5 août 1912. Il est le 5ème enfant d'une famille de 8.


En 1920, la famille achète une propriété au Vieux Port à Irigny. On s'y rend le week-end en voiture à cheval, ou en train.

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La maison du Vieux-Port à Irigny

En 1928 parlant de cette maison, il écrit :

"me voilà, à nouveau, enfin chez nous. Chez nous. Ce "Vieux Port" dont tout ami a dû si souvent entendre redire les vertus, qu'il est bon ! Que je l'aime, cette grande maison blanche, que je l'aime, ce grand parc aux coins cachés, mystérieux, aux taillis silencieux où l'on entend en paix le rossignol et la fauvette, où l'on peut parfois, parfaitement innocent, se surprendre à faire un vers ou à rêver de tous ceux qu'on aime …"

Il y revient oublier les contraintes de la vie publique, et mener une vie discrète de quelques jours. Il parraine le groupe scout d'Irigny qui s'appelle désormais "Groupe Abbé Pierre". Il célèbre la messe à Irigny à l'occasion de ses 80 et 90 ans et de ses 60 années de sacerdoce.

Enfant intrépide et plein d'humour, il escalade un cèdre plus que centenaire, l'un des hauts arbres de la propriété pour y placer au sommet, au grand dam de ses fères, un écriteau :" fin de l'arbre !". Casse-cou, il descend la colline à vélo, à toute vitesse. Il fait même le tour de la maison, sur la corniche, au niveau du second étage de la maison.
Enfant cependant sensible et rêveur, il compose des poésies. Il peint des aquarelles délicates. Scout, il est "totémisé" à 14 ans Castor méditatif. Remarquable prémonition de ce qu'il allait devenir.

À 19 ans, il fait part à ses parents de son désir d'entrer chez les Capucins. Il devient Frère Philippe. La vie au monastère est âpre et dure, Frère Philippe est de santé fragile. Au bout de six années, le supérieur de sa communauté, lui conseille d'abandonner la vie monacale. Il est ordonné prêtre le 24 août 1938, et devient prêtre au diocèse de Grenoble. Quelques mois plus tard, en 1939, allait s'ouvrir les pages les plus sombres de l'histoire de l'humanité. Dès juillet 1942, il entre dans la résistance où il devient « l’Abbé Pierre ». Tout en poursuivant son ministère paroissial, Il participe à la création du maquis de la Chartreuse et de l'Est du Vercors. Il fait passer des Juifs en Suisse en passant par les Alpes.

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Mai 1944, arrêté par l'armée Allemande, il s'évade et rejoint le Général De Gaulle à Alger.
En janvier 1945, il est cité à l'Ordre de l'Armée de Mer, avec attribution de la Croix de Guerre avec palme.
Le premier motif de la citation, qui en comporte une vingtaine est :

"de juillet 1942, jusqu'à mai 1944, passeur de frontières dans les Alpes, puis les Pyrénées, il sauve un grand nombre de vies et assure des liaisons."

 

Parmi ces vies sauvées, Jacques de Gaulle, paralytique, frère du général, qui passera les Alpes dans ses bras, aidé du Capitaine Tixier.

 

 

 

 

 

  Au Vercors

   

 

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En 1945, il est élu député de Meurthe-et-Moselle. Il occupe une grande maison à Neuilly-Plaisance, près de Paris. On ne peut manquer d'observer la ressemblance de cette maison avec la demeure familiale d'Irigny. Lucie Coutaz, rencontrée dans la résistance, devient sa secrétaire parlementaire, et l'y rejoint. En 1948, ils ouvrent le "Foyer Emmaüs". En fin de semaine se retrouvent dans ce foyer des prêtres, des ouvriers, des scouts. La guerre a détruit un nombre considérable de logements. Beaucoup de familles vivent dans la précarité. 

Neuilly-Plaisance

 

En 1949, c'est la rencontre avec Georges, ancien forçat, suicidé raté :

"tu es malheureux et je ne peux rien te donner mais toi, tu es libre puisque tu veux te tuer. Avant de le faire, donne-moi un coup de main pour aider les autres. À nous deux, on en sortira plus de l'enfer !".

C'est la naissance du Mouvement EMMAÜS. D'autres compagnons suivront, c'est la première Communauté Emmaüs, dont la seule ressource est l'indemnité parlementaire du "curé-député". Ce sera les premières constructions des citées d'urgence pour les "sans toit".

Il quitte la vie politique en 1951. Pour pallier le manque de ressources, l'abbé Pierre va mendier à Paris. L'apprenant, les compagnons, furieux, s'opposent à cela. L'un d'eux suggère "la biffe", autrement dit faire les poubelles. Puis on passe aux caves et aux greniers, et au bout de quelques semaines, on finance les dépenses. Les Chiffonniers d'Emmaüs étaient nés.

Mais les besoins financiers sont importants. En 1952, l'abbé Pierre participe à un jeu radiophonique, très célèbre à l'époque "Quitte ou double". Ce jeu est animé par le présentateur vedette Zappy Max. L'abbé Pierre gagne 260 000 francs, l'équivalent d'environ 5 500 euros.

Arrive le terrible hiver 1954 : une femme puis un bébé meurent de froid. C'est le fameux appel sur Radio-Luxembourg (aujourd'hui RTL) :

"Mes amis ! Au secours ! Une femme vient de mourir gelée, cette nuit, à Paris… serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l'avait expulsée …Il faut que, ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s'accrochent sous une lumière, dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe et où on lise : "Centre Fraternel de Dépannage, toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t'aime !"


Histoire de l'appel

 

Peu après cet appel de l'hiver 54, sa sœur Noêlle et son frère Emmanuel, tous deux handicapés, décident de transformer la demeure familiale bourgeoise en créant 8 appartements locatifs sur les niveaux 1 et 2 avec une véritable mixité sociale. Progressivement ces logements ont été acquis par des personnes étrangères à la famille, jusqu'au départ pour Paris D'alain et d'Élizabeth en 2010.

En 1961 de février à mai, l'abbé Pierre séjourne au Sahara à l'ermitage du père Charles de Foucauld. Il découvre le désert, et les dures conditions de vie des nomades. L'infini du désert est propre à la méditation. Dans un courrier, il confie à Lucie Coutaz sa secrétaire :

"Au cœur des silences d'ici, on voit d'un regard nouveau cette réalité terrible des masses humaines".

L'abbé Pierre est un artiste, peintre et poète, il pratique également avec talent la photographie. Pendant cette période africaine, ses courriers attestent qu'il consomme beaucoup de pellicule. Il privilégie les Etres. Il pose sur leur difficile quotidien un regard sans concession, mais d'un profond respect. Il fige la misère, saisit l'esquisse d'un sourire. Il scrute aussi le ciel saharien fourmillant d'étoiles et réussit des images étonnantes. 

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Plus tard, il explique à quelques visiteurs : "Visitant ma petite "cellule" à St. Wandrille quelques uns d'entre vous, m'avez demandé à voir les photos du ciel prises au Sahara en Février 1961 devant l'ermitage du Père de Foucauld à Béni-Abbés (où j'étais venu chercher 3 mois de silence). La pureté de l'air sec du désert rend le ciel éclatant. La caméra immobile restait ouverte avec le + grand diaphragme en pose environ 15 minutes. La terre tourne sous les étoiles ce qui fait que la lumière des étoiles donne ces traces, en cercle quand l'objectif est orienté sur l'Étoile Polaire."

 

 

 

 

 

En 1963, le 26 juillet, il doit rallier, en avion, Montevideo à Buenos Aires pour une importante réunion. Le brouillard empêche tout décollage. Un bateau qui franchit, toutes les nuits, les 200 km de l'estuaire du Rio de la Plata. Dans la nuit, le bateau s'immobilise, un incendie se déclare à bord, et il sombre. L'abbé Pierre, avec beaucoup d'autres passagers,  se retrouve dans l'eau accroché à une caisse de bois. Ils vont dériver ainsi plusieurs heures. Ils sont secourus par un navire de guerre. On place l'abbé pierre dans la cale, jusqu'au moment où quelqu'un remarque qu'il est vivant et qu'on le sorte de ce funeste endroit.

Se battre, avec détermination et énergie, pour améliorer le sort des plus défavorisés a souvent conduit l'abbé Pierre à des prises de positions très fortes. Juillet 1992, un télégramme de Pierre Bérégovoy, Premier Ministre, l'avise de sa prochaine promotion à la dignité de Grand Officier dans l'Ordre de la Légion d'Honneur.

Il lui répond :

"(…) parmi les multiples souffrances humaines sans moyens capables que soit entendu l'appel de leur détresse, il en est une, vous le savez, qui me blesse le plus car elle détruit des familles, et frappe des enfants par dizaines de milliers en France même, alors que notre pays est l'un des sept plus riches du monde.Ces dernières semaines, des dizaines de familles de travailleurs sans logis, traquées par la police, ont dû chercher refuge d'églises en église.

(…) Les divers pouvoirs, des communes ou du gouvernement, ne font rien qui soit à la mesure d'un tel drame.
(…) À 80 ans, je n'ai plus la force d'être, dans la honte pour la France, pour notre patrie, présent parmi ces victimes.Pourquoi le pouvoir de l'État ne remet-il pas en vigueur les dispositions qui existent depuis longtemps, nous disent les juristes, pour, d'autorité, en attendant d'en avoir assez bâti, effectuer au nom de la loi, les "attributions d'office" des locaux vacants, habitables, ou à peu de frais, aménageables ?
(…) L'honneur est là.
Tant que cet honneur reste ignoré, comment pourrait être accepté, par qui que ce soit, quelque distinction dans l'Ordre national ?
(…) Et dès ce jour, me sentant comme risquant d'être complice de ce qui ne se réalise pas pour les autres, me sentant comme outragé par des distinctions (que je respecte et que j'ai aimées) qui sembleraient me désolidariser des plus douloureux en larmes, je décide de cesser de porter l'insigne des distinctions déjà reçues(…).

Six mois après, ce "coup de gueule", le 22 décembre 1992, le décret constitutif du : "Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisés" fut signé par François Mitterrand.

Quant aux honneurs, il écrit dans une note de juillet 1997 :

"(…) jusqu'ici, je n'ai pas donné suite au décret du 14 juillet 1992 publié à l'Officiel, qui me fait Grand Officier. On pourra placer cette "Distinction" sur mon cercueil si on le juge utile." 

Le 19 avril 2001, neuf années après la nomination, la réception de l'insigne de Grand Officier eu finalement lieu au palais de l'Élysée sous la Présidence de Jacques Chirac et de Bernadette son épouse, très participative. Étaient conviées 7 personnalités d'Emmaüs et Fondation Abbé Pierre ainsi que 7 membres de la famille dont Alain et Élizabeth.

L'abbé Pierre, un homme extraordinaire. Un homme engagé toute sa vie, au service et au secours des plus souffrants. De grands hommes sont connus pour une action, un geste, une prise de position, une période de leur vie. Lui, a consacré sa vie entière aux sans-logis.

À 87 ans, il confiait :

"On m'a souvent posé la question de savoir comment j'avais été amené à consacrer ma vie aux plus souffrants. Beaucoup s'imaginent que ma vocation est née subitement suite à une rencontre bouleversante avec des miséreux (…).
D'autres pensent au contraire que ma vie résulte d'un choix mûrement réfléchi de mener une vie de service et d'abnégation. Il n'en n'est rien. J'ai le sentiment que ma vocation de servir les plus souffrants est, avant tout, le résultat d'un enchaînement de circonstances, de petits choix quotidiens, de rencontres inattendues, de réflexes conditionnés par mon caractère et mon éducation".

Cette intense activité, l'a conduit à travers le monde. Il a côtoyé les plus humbles et les plus grands de la planète.

De ces voyages, de ces rencontres, il a constitué un important fonds d'archives documentaire, qu'il a confié aux Archives Nationales du Monde du Travail, à Roubaix et, à Emmaüs-International son légataire universel, qui a recueilli beaucoup de documents photographiques.

À Irigny, il réservait surtout les objets-souvenirs et des objets plus personnels. Petit à petit, dans la maison du Vieux-Port chez ses neveux Alain et Élizabeth, leur nombre croissant, ils sont devenus "Le Musée".

Dans cette logique, c'est naturellement qu'en 2010, quittant cette maison, Alain a confié à la Municipalité d'Irigny ce "Musée", soit un peu plus de 200 objets, une centaine de médailles et autant de livres.

Ces objets n'ont, pour la plupart, aucune valeur marchande. Il n'y a là, que témoignages de respect, d'amour et d'affection à l'endroit de cet homme exceptionnel. C'est ce qui leur donne une dimension historique et leur confère une valeur inestimable.

Une grande partie de ces objets, ainsi que de nombreuses photos de l'abbé Pierre généreusement prêtées par Emmaüs International, ont été exposés à la maison du Patrimoine du 15 juin au 21 septembre 2014.  

 

Devenir "Marin Brigand ou Missionnaire" tels étaient les souhaits d'adolescent de l'abbé Pierre.
Ne fut-il pas un peu les trois ?

 

 

"Servir premier les plus souffrants, toute paix est là ".

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Et les autres !

 

Remerciements à Alain et Élizabeth Grouès.

Bibliographie :

  • Archives famille Grouès, le Musée.
  • ABBÉ PIERRE, Textes de combats, écrits intimes, correspondances. Brigitte Mary, Éd Bayard 2012
  • ABBÉ PIERRE, IMAGES D'UNE VIE, Laurent Desmard, Éd Hoëlbeke 2006
  • L'ABBÉ PIERRE 1912-2007 "FRÈRE DES PAUVRES, PROVOCATEUR DE PAIX" Archives Nationales du Monde  duTravail Roubaix.2012

Voir également :

La Fondation Abbé Pierre

Emmaüs, l'Action Sociale